Monday, June 8, 2015

"La Danse du Printemps Arabe" Exposition de Nour Ballouk, Article par Hussein Hussein

Rituals (Gaza) , Nour Ballouk 2015
L’œuvre de Nour Ballouk se présente à nous, encore une fois, dévoilant la grâce de la femme, mais dans un contexte qui, loin d’être ordinaire, est composé de plusieurs notions, d’habitude difficilement miscibles. L’artiste crée un nouveau langage, qu’elle puise de plusieurs autres, de temps différents, et le rend accessible au spectateur qui, après une brève méditation en face de l’œuvre, parvient à en déceler le message.
Nour Ballouk aborde, de façon frôlant le sarcasme, le thème du « printemps arabe » qui s’est avéré être indépendant des principes par lesquels il fut annoncé. Ce qui devait être l’aube des peuples de la région, se muta en guerre dévastatrice, auparavant inimaginable. L’artiste nous incite, par une manipulation picturale intelligente et minutieuse, à concentrer notre attention sur le contraste de la beauté, la grâce, la féminité et la vie par rapport à la laideur de la guerre, la cruauté de la destruction, la perte et la mort… 


The Map, Nour Ballouk 2014

Á première vue, la surface picturale traitée soumet notre logique visuelle, poussant notre raison vers une sélective lecture de la scène où se juxtaposent des éléments qui ne peuvent être mis dans le même contexte. C’est exactement ainsi que l’artiste veut nous présenter son œuvre. Le coté visuel est précis et clair ; des ruines de villages et de villes détruites qui composent la totalité du fond dans quelques œuvres, pour n’en couvrir qu’une partie dans d’autres. De ce chaos émergent des figures dansantes que l’artiste emprunte de photos populaires de danse et dont la plupart est tirée de différents ballets, mais, celles-ci détiennent cependant un principal point commun : la représentation de la femme par d’anciennes photos en noir et blanc. 
Loin du hasard, ces figures montées sur le fond répondent à une composition profondément étudiée par l’artiste. Les éléments visuels qui s’y ajoutent découpant la surface de part et d’autre par des bandes pleines et colorées, ou se formant en groupe de lignes de différentes épaisseurs, sont en majorité horizontales et adhérent parfaitement à l’ensemble. Cette ligne limite donne à l’œuvre un équilibre amorçant la chaotique répartition de quelques éléments du fond, tout en la couvrant d’un lourd silence. D’autres éléments utilisés, à l’instar d’une carte entre les bras d’une des figures qui semble s’en vêtir, dénote un territoire précis en relation avec celui où se déroule le soi-disant « printemps arabe ». Parfois, une danse en groupe semble être un rituel autour d’un feu attisé par les ruines et consumant ce que jusque là l’homme avait bâti.


Nour Ballouk 2015

Après cette visualisation d’apparence simple, se dégage inévitablement un sens métaphysique et spirituel profond qui capte le regard du spectateur. Une femme qui tend les bras, semble par magie présenter un dôme surplombant les ruines où des enfants sautillent, ou s’acharnent à la recherche de leur demeure. Images de destruction totale d’où s’élève une figure frivole sur une bande jaune. Des gens qui discutent désespérés, leurs pertes communes, des restes éparpillés d’objets dénudés de leur valeur initiale, qui acquièrent un concept nouveau, grâce à l’œil analytique de l’artiste qui insère une figure féminine jaillissant de nulle part et qui, de sa beauté et de sa grâce atténue la pesanteur douloureuse de la scène en promettant le calme éternel. L’image de la femme dansante semble figée dans son temps, le reste des éléments, dans le leur. Gracieuse et légère, la figure dans l’œuvre de Nour Ballouk, danse sur une musique dont on sent la présence, mais qui, à la place d’être auditive, ne s’écoute qu’à travers l’âme. Il est difficile d’éviter un raisonnement d’au delà, cette danse semble bel et bien effectuée par des fantômes. Peut être celui des martyrs, de la femme mère, à l’origine de l’homme, l’homme victime, et l’homme bourreau. 
Le choix de la danse dans le contexte où Nour Ballouk la place n’est pas hasardeux. La danse est le premier-né des arts. Chez l’artiste, elle tend vers le rituel, dénote le repentir et devient prière. Á travers celle-ci, le corps passe à l'état d'objet et sert d’outil à exprimer les émotions par les mouvements, l'art devient le corps. Pour certains la danse est liée à la beauté féminine, pour d’autres la danse conjure le sort, danse de la pluie ou danse de prière, ou sert à plaire aux dieux comme dans l’antiquité romaine. Etant un symbole expressif avant tout, Nour Ballouk y ajoute une dimension métaphysique qui lui est propre et qui sans aucun doute ne laissera pas indifférents ceux qui verront son œuvre.

Hussein HUSSEIN